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Aimer, c’est regarder ensemble dans la même direction.

On lui parle d’amour et il répond comme s’il participait à un débat de société.

La planète fourmille de criminels qui fuient leur châtiment. Attitude logique.

 

 

«... le crime sans plaisir, c’est du mal gratuit, de la nuisance sordide. C’est indéfendable.»

«Cette manie de qualifier de fous ceux que l’on ne comprend pas! Quelle paresse mentale!»

«... un fou est un être dont les comportements sont inexpliquables.»

«Le cosmétique... est une science de l’ordre universel, la morale suprême qui détermine le monde.»

«Le coupable va vers son châtiment comme l’eau vers la mer, comme l’offensé vers sa vengeance.»

 

VI. Répondez aux questions:

 

1.Qu’est-ce que vous pensez de l’expression «L’autre n’existe que pour mon plaisir»?

2.Tous les criminels ont-ils besoin du châtiment? D’où vient alors leur envie d’être arrêté, d’être jugé, de s’expliquer, de se justifier?

3.Quelles conséquences peut avoir un faux avertissement d’une bombe dissimulée dans un avion?

4.Est-ce que la police est toujours efficace?

5.Pourquoi est-ce qu’on ne passe pas d’alcootest pour (avant de) prendre l’avion?

6.Comment l’humeur, l’attitude envers son interlocuteur et la perception de la situation de Textor Texel et de Jérôme Angust changent-elles au cours de leur conversation?

 

 

VII.Traduisez:

1. Он был похож на человека, которого словно ударили по голове. Он не понимал, что его удерживало от того, чтобы схватить преступника за глотку.

2. Вы попытались убедить меня, что выбираете объект случайно, досаждая людям ради собственного удовольствия.

3. Я чувствовал в ней какой-то надлом, но она не хотела об этом говорить. – И Вас это устраивало. – Не Вам мне читать мораль.

4. – Отомстите мне. Заставьте заплатить. – Вы нуждаетесь в том, чтобы Вас покарали: почему тогда не в официальном и законном наказании? – Я не верю в такое правосудие.

5. L’extase voluptueuse est le but souverain de l’existence, et ne demande aucune justification. Mais le crime sans plaisir, c’est du mal gratuit, de la nuisance sordide. C’est indéfendable.

6. Не надо с предубеждением относиться к незнакомым ощущениям и нельзя оставить преступление безнаказанным. Вы можете рассчитывать на меня: я сумею подогреть Вашу остывшую ненависть.

7. Вы надеетесь, что существует какое-то материальное свидетельство, аргумент, который отдаст меня в руки полиции. Сожалею. Улик нет. Зарубите себе на носу: правосудие будет совершено Вашими руками или не свершится никогда.

8. Если Вы убедите полицию, что именно я позвонил и сообщил о заложенной в самолете бомбе, меня отпустят, после того как я заплачу огромный штраф. Этого Вам будет достаточно, чтобы отомстить за убийство жены?

9. Tous les criminels n’ont pas un sentiment de culpabilité mais, quand ils l’ont, ils ne pensent plus qu’à ça. Le coupable va vers son châtiment comme l’eau vers la mer, comme l’offensé vers sa vengeance.

 

Leçon 5

 

— Eh bien, tu as compris? demanda Texel.

— De quel droit me tutoyez-vous? On n'a pas gardé les cochons ensemble.

Textor hurla de rire. Les gens se pres­saient autour d'eux pour regarder et écouter, Angust explosa. Il se leva et se mit à crier à l'adresse des spectateurs:

— Vous avez fini? Je casse la figure au prochain qui nous observe.

Il dut être convaincant car les badauds s'en allèrent. Ceux qui étaient assis à proximité s'écartèrent. Plus per­sonne n'osa les approcher.

— Bravo, Jérôme! Quelle autorité! Moi qui ai gardé les cochons avec toi, je ne t'avais jamais vu dans cet état.

— Je vous interdis de me tutoyer!

— Allons, après tout ce qui nous est arrivé ensemble, tu peux bien me tutoyer toi aussi.

— C'est hors de question.

— Je te connais depuis si longtemps. Jérôme regarda sa montre.

— Même pas deux heures.

— Je te connais depuis toujours. Angust scruta le visage du Hollandais

avec insistance.

— Textor Texel, c'est un nom d'emprunt? Etiez-vous à l'école avec moi?

— Te rappelles-tu avoir eu un petit camarade qui me ressemblait?

— Non, mais c'était il y a longtemps. Vous avez peut-être beaucoup changé.

— A ton avis, pourquoi la police ne m'a-t-elle pas arrêté?

— Je ne sais pas. Vous êtes peut-être quelqu'un de très connu en haut lieu.

— Et pourquoi les gens t'ont-ils observé comme un dingue?

— A cause de la réaction des poli­ciers.

— Tu n'as rien compris, décidément.

— Qu'aurais-je dû comprendre?

— Qu'il n'y avait personne sur le siège à côté de toi.

— Si vous vous prenez pour l'homme invisible, comment expliquez-vous que, moi, je vous vois?

— Tu es le seul à me voir. Même moi, je ne me vois pas.

— Je ne comprends toujours pas en quoi vos sphingeries à deux francs cin­quante vous autorisent à me tutoyer. Je ne vous le permets pas, monsieur.

— Si on n'a plus le droit de se tutoyer soi-même.

— Que dites-vous?

— Tu as très bien entendu. Je suis toi.

Jérôme regarda le Hollandais comme un demeuré.

— Je suis toi, reprit Textor. Je suis cette partie de toi que tu ne connais pas mais qui te connaît trop bien. Je suis la partie de toi que tu t'efforces d'ignorer.

— J'avais tort d'appeler la police. C'est l'asile d'aliénés qu'il faut contacter.

Aliéné à toi-même, c'est vrai. Dès le début de notre conversation, je t'ai tendu des perches énormes. Quand je t'ai parlé de l'ennemi intérieur, je t'ai suggéré que je n'avais peut-être pas d'existence en dehors de toi, que j'étais une invention de ton cerveau. A quoi tum'as répondu avec superbe que tu n'avais pas d'ennemi intérieur, toi. Mon pauvre Jérôme, tu as l'ennemi intérieur le plus encombrant du monde: moi.

— Vous n'êtes pas moi, monsieur. Vous vous appelez Textor Texel, vous êtes hollandais et vous êtes un emmer-deur de première classe.

— Et en quoi ces belles qualités m'empêchent-elles d'être toi?

— Une identité, une nationalité, une histoire personnelle, des caractéris­tiques physiques et mentales, tout cela fait de vous quelqu'un qui n'est pas moi.

— Mon vieux, tu n'es pas difficile, si tu te définis avec des ingrédients aussi indigents. C'est typique du cerveau humain: tu te concentres sur les détails pour ne pas avoir à aborder l'essentiel.

— Enfin, vos récits de bouillie pour les chats, vos mysticolâtries, c'est à des années-lumière de moi.

— Evidemment. Tu avais besoin de m'inventer très différent de toi, pour te persuader que ce n'était pas toi — pas toi du tout — qui avais tué ta femme.

— Taisez-vous!

— Désolé. Je ne me tais plus. Cela fait trop longtemps que je me tais. J'ajouterai que, depuis dix ans, ce silence est devenu encore plus insup­portable.

— Je ne veux plus vous entendre.

— C'est pourtant toi qui m'ordonnes de parler. Ces cloisons si étanches que tu as construites dans ta tête ne tiennent plus: elles cèdent. Tu peux t'estimer heureux d'avoir eu droit à ces dix années d'innocence. Ce matin, tu t'es levé et préparé pour partir à Barce­lone. Tes yeux ont lu le calendrier: 24 mars 1999. Ton cerveau n'a pas tiré la sonnette d'alarme pour te prévenir que c'était le dixième anniversaire de ton meurtre. A moi, cependant, tu n'as pu le cacher.

— Je n'ai pas violé ma femme!

C'est vrai. Tu as seulement eu très envie de la violer, la première fois que tu l'as vue, au cimetière de Montmartre, il y a vingt ans. Tu en as rêvé la nuit. Au début de cet entretien, je t'ai dit que je faisais toujours ce dont j'avais envie. Je suis la partie de toi qui ne se refuse rien. Je t'ai offert ce rêve. Aucune loi n'inter­dit les fantasmes. Quelque temps plus tard, tu as revu Isabelle à une soirée, et tu es allé lui parler pour la première fois.

— Comment le savez-vous?

— Parce que je suis toi, Jérôme. Tu as trouvé drôle de converser civilement avec celle que tu avais violée en rêve. Tu lui as plu. Tu plais aux femmes, quand tu parviens à me cacher.

— C'est vous qui êtes détraqué C'est vous qui avez tué ma femme et qui essayez de vous persuader que je suis le meurtrier, afin de vous innocenter.

— Alors pourquoi ai-je passé des heures à plaider ma culpabilité?

— Vous êtes dingue. Il ne faut pas chercher de logique au comportement d'un fou.

— Ne dis pas trop de mal de moi. N'oublie pas que je suis toi.

— Si vous êtes moi, pourquoi ai-je eu l'étrange fantaisie de vous créer hollan­dais?

— Il valait mieux que je sois étranger afin de me différencier de toi. Je l'ai déjà dit.

— Mais pourquoi hollandais plutôt que patagon ou bantou?

— On a les étrangers qu'on peut. Patagon ou bantou, ton cerveau n'en aurait pas été capable.

— Et pourquoi vos délires jansé­nistes, moi qui ne suis pas religieux pour deux sous?

— Ça prouve simplement qu'il y a une partie refoulée de toi à qui il ne déplairait pas d'être mystique.

— Oh non, encore ce blabla psycha­nalytique de bazar!

— Regarde comme tu es fâché quand on ose suggérer que tu refoules quelque chose.

— Le verbe refouler, c'est le mot fourre-tout du XXe siècle.

— Et ça donne l'une des variétés d'assassin du XXe siècle: toi.

— Imaginez deux secondes que vos élucubrations soient exactes: ce crimi­nel serait minable, pathétique, gro­tesque.

— C'est ce que je t'ai dit il y a quelques minutes: on a les criminels qu'on mérite. Désolé, mon pauvre Jérôme, il n'y avait pas de place en toi pour Jack l'Eventreur ni pour Landru. Il n'y avait place en toi que pour moi.

— Il n'y a pas place en moi pour vous!

— Je sais, c'est dur à avaler, hein?

— Si je devais vous croire, je serais le Docteur Jekyll en train de converser avec Mister Hyde.

— Ne te vante pas. Tu es beaucoup moins bien que le Docteur Jekyll, et par conséquent tu contiens un monstre beaucoup moins admirable que cette brute sanguinaire de Hyde. Tu n'es pas un grand savant obsessionnel, tu es un petit homme d'affaires comme il y en a tant: ta seule qualité, c'était ta femme. Depuis dix ans, ton veuvage est ton unique vertu.

— Pourquoi avez-vous tué Isabelle?

— C'est drôle. Tout à l'heure, tu ne voulais pas croire que j'étais l'assassin. Depuis que je t'ai refilé la patate chaude de la culpabilité, tu me crois sans aucune peine, tu me demandes même pourquoi j'ai tué ta femme. A présent, tu serais prêt à n'importe quoi, pourvu que l'on te persuade de ton innocence.

— Répondez: pourquoi avez-vous tué Isabelle?

— Je ne réponds pas aux questions mal posées. Il fallait me demander: «Pourquoi ai-je tué ma femme?»

— Cette question-là n'a pas lieu.

— Tu ne crois toujours pas que je suis toi?

— Je ne le croirai jamais.

— Etrange, cette religion du moi. «Je suis moi, rien que moi, rien d'autre que moi. Je suis moi, donc je ne suis pas la chaise sur laquelle je m'assieds, je ne suis pas l'arbre que je regarde. Je suis bien distinct du reste du monde, je suis limité aux frontières de mon corps et de mon esprit. Je suis moi, donc je ne suis pas ce monsieur qui passe, surtout si le monsieur se trouve être le meurtrier de ma femme.» Singulier credo.

— Singulier, oui, à la lettre.

— Je me demande ce que les gens de ton espèce font de la pensée. Cela doit te perturber, ce flux mental qui va où il veut, qui peut entrer dans la peau de chacun. Pourtant, c'est bien de ton petit moi que vient cette pensée. C'est inquié­tant, ça menace tes cloisons. Heureuse­ment, la plupart des gens ont trouvé le remède: ils ne pensent pas. Pourquoi penseraient-ils? Ils laissent penser ceux dont ils considèrent que c'est le métier: les philosophes, les poètes. C'est d'autant plus pratique qu'on ne doit pas tenir compte de leurs conclusions.

Ainsi, un magnifique philosophe d'il y a trois siècles peut bien dire que le moi est haïssable, un superbe poète du siècle dernier déclarer que je est un autre: c'est joli, ça sert à converser dans les salons, sans que cela affecte le moins du monde notre réconfortante certitude — je suis moi, tu es toi et chacun reste chez soi.

— La preuve que je ne suis pas vous, c'est que vous avez la langue bien pen­due.

— Voilà ce qui arrive, quand on muselle son ennemi intérieur trop long­temps: quand il parvient enfin à tenir le crachoir, il ne le lâche plus.

— La preuve que je ne suis pas vous, c'est que tout à l'heure, quand je bou­chais mes oreilles, je ne vous entendais plus.

— Dans le genre, tu as fait beaucoup mieux: tu ne m'as pas entendu pendant des dizaines d'années, sans même te boucher les oreilles.

— La preuve que je ne suis pas vous, c'est que je ne connais rien au jansé­nisme ni à ce genre de choses. Vous êtes beaucoup plus lettré que moi.

— Non: je suis la partie de toi qui n'oublie rien. C'est l'unique différence. Si les gens avaient de la mémoire, ils s'entendraient parler de sujets auxquels ils croyaient ne rien connaître.

— La preuve que je ne suis pas vous, c'est que je déteste le beurre de caca­houètes.

Textor éclata de rire.

— Alors, ça, mon vieux, comme preuve, c'est édifiant!

— Il n'empêche que c'est vrai: j'ai horreur de ça. Qu'est-ce que vous en dites? Vous êtes bien embêté, hein?

— Je vais t'apprendre une chose: la partie de toi qui prétend détester le beurre de cacahouètes est la même qui salive devant les hot dogs du boulevard de Ménilmontant sans jamais oser s’en ache ter.

— Qu'est-ce que vous me chantez là?

Quand on est un monsieur qui va à des déjeuners d'affaires où on lui sert du turbot aux petits légumes et autres bouches-en-cul-de-poulage, on affecte d'ignorer qu'il y a en soi un rustre quirêve de bouffer des horreurs dont il ditle plus grand mal, comme le beurre de cacahouètes et les hot dogs du boulevard de Ménilmontant. Tu y allais sou­vent, au cimetière du Père-Lachaise, avec ta femme. Elle aimait tant voir les si beaux arbres nourris par les morts et les tombes des jeunes filles aimées. Toi, tu étais beaucoup plus ému par l'odeur des saucisses qui cuisaient en face. Bien entendu, tu serais rentré sous terre plu­tôt que de te l'avouer. Mais moi, je suis la partie de toi qui ne se refuse rien de ce dont elle a vraiment envie.

— Quel délire!

— Tu as tort de nier. Pour une fois que tu caches quelque chose de sympa­thique.

— Je ne cache rien, monsieur.

— Tu l'aimais, Isabelle?

— Je l'aime toujours comme un fou.

— Et tu laisserais à un autre que toi le privilège de l'avoir tuée?

— Ce n'est pas un privilège.

— Si. Celui qui l'a tuée, c'est forcé­ment celui qui l'aimait le plus!

— Non! C'est celui qui l'aimait mal!

— Mal mais plus.

— Personne ne l'aimait plus que moi.

— C'est bien ce que je te dis.

— Laissez-moi deviner. Vous êtes un maniaque sadique qui a un dossier sur chaque veuf dont la femme est morte assassinée. Votre passion, c'est de pour­suivre le malheureux pour le convaincre de sa culpabilité, comme s'il ne souffrait pas assez.

— Ce serait de l'amateurisme, voyons, Jérôme. Pour bien torturer, il faut se limiter à une seule victime, un seul élu.

— Vous convenez, au moins, que vous n'êtes pas moi.

— Je n'ai jamais dit ça. Je suis la par­tie de toi qui te détruit. Tout ce qui grandit accroît sa capacité d'autodémo-lition. Je suis cette capacité.

— Vous me fatiguez.

— Bouche-toi les oreilles.
Angust s'exécuta.

— Tu as remarqué? Ça ne marche plus, cette fois-ci.

Jérôme se les boucha plus fort.

— Ne t'obstine pas. Au passage, si tu te bouches les oreilles comme ça, tu ne tiendras pas longtemps. Je te l'ai déjà dit: pourquoi gardes-tu tes bras en l'air? On croirait qu'on te menace d'un revolver. Il faut se boucher les oreilles par le bas, les coudes contre la poitrine: on peut rester très longtemps dans cette position. Ah, si tu avais su cela tout à l'heure! Je me demande, aussi, com­ment tu pouvais l'ignorer, mais cela n'a plus d'importance.

Angust baissa les bras, dégoûté.

— Tu vois bien que tu es moi. Cette voix que tu entends parle à l'intérieur de ta tête. Il t'est absolument impossible de fuir mon discours.

— J'ai vécu des dizaines d'années sans vous entendre. Je trouverai un moyen de vous museler.

— Tu ne le trouveras pas. C'est ir­réversible. Que faisais-tu, le vendredi 24 mars 1989, vers dix-sept heures? Oui, je sais, la police t'a déjà posé cette question.

— Elle en avait le droit, elle.

— Avec toi, j'ai tous les droits.

— Si vous savez que la police me l'a déjà demandé, vous connaissez aussi la réponse.

— Oui, tu étais au travail. Il fallait vraiment que les flics aient confiance en toi pour accepter un alibi aussi faible. Pauvre mari effondré, détruit, incré­dule.

— Vous me ferez avaler tout ce que vous voulez, mais pas que j'ai tué Isa­belle.

— Tu manques singulièrement d'orgueil. On te propose deux rôles: celui de la victime innocente et celui de l'assassin, et toi, tu choisis de n'y être pour rien.

— Je ne choisis rien. Je me conforme à la réalité.

— La réalité? Cette blague! Oserais-tu m'affirmer, les yeux dans les yeux, que tu te rappelles avoir passé cet après-midi au bureau?

— Oui, je m'en souviens!

— Ton cas est encore plus grave que je ne le pensais.

— Et vous, que devrais-je penser de vous? Vous changez de version comme de chemise! Ce long dialogue que vous prétendiez avoir eu avec Isabelle, c'était quoi?

— Tu as eu bien d'autres conversa­tions fictives avec elle. Quand on aime, on parle dans sa tête à l'être aimé.

— Et ce passé que vous m'avez raconté, vos parents morts, le meurtre mental de votre petit camarade, la nour­riture pour chats, c'était quoi?

Tu serais prêt à inventer n'importe quoi pour te persuader que je suis un autre.

— C'est trop facile. Vous pouvez avoir réponse à toutes les invraisem­blances, avec un pareil argument.

— Normal. Je suis ta partie diabo­lique. Le diable a réponse à tout.

— Ce n'est pas pour autant qu'il convainc. A propos, le voyage à Barce­lone, c'était vous?

— Non, non. Pas plus que le retard. Je n'ai téléphoné ni à ton chef ni à l'aéroport.

— Pourquoi ces mensonges tout à l'heure?

— Pour te faire craquer. Si tu m'avais tué à ce moment-là, j'aurais pu t'épargner ces pénibles révélations.

— Pourquoi l'aéroport?

— Le retard d'avion. L'attente forcée pour une durée indéterminée: enfin un moment où tu étais vraiment dis­ponible. Les gens de ton espèce ne deviennent vulnérables que dans l'im­prévu et le vide. Cela, plus la conjonc­tion de la date d'aujourd'hui, ce dixième anniversaire qui a effleuré ton incons­cient ce matin: tu étais mûr pour ouvrir les yeux. A présent, le virus est dans ton ordinateur mental. Il est trop tard. Ce pourquoi tu m'entends même quand tu as les oreilles bouchées.

— Racontez-moi donc ce qui s’est passé!

— Que tu es pressé, maintenant!

— Si j'ai assassiné Isabelle, j'aimerais au moins savoir pourquoi.

— Parce que tu l'aimais. Chacun tue ce qu'il aime.

— Alors quoi, je suis rentré chez moi et j'ai poignardé le ventre de ma femme à plusieurs reprises, comme ça, sans raison?

— Sans autre raison que l'amour qui mène tout à sa perte.

— Ce sont là de belles phrases mais elles n'ont aucun sens pour moi.

Elles en ont pour moi qui suis en toi. Il ne faut pas se voiler la face: même le plus amoureux des hommes — surtout le plus amoureux deshommes — désire, un jour ou l'autre, ne serait-ce que l'espace d'un instant, tuer sa femme. Cet instant, c'est moi. La plu­part des gens parviennent à escamoter cet aspect de leur être souterrain, aupoint de croire qu'il n'existe pas. Toi, c'est encore plus spécial: l'assassin que tu abrites, tu ne l'as jamais rencontré. Pas plus que tu n'as rencontré le man­geur de hot dogs clandestin ou celui qui rêve de viols, la nuit, dans les cime­tières. Aujourd'hui, par accident men­tal, tu te retrouves nez à nez avec lui. Ta première attitude consiste à ne pas le croire.

— Vous n'avez aucune preuve maté­rielle de ce que vous avancez. Pourquoi vous croirais-je sur parole?

— Les preuves matérielles sont une chose si grossière et si bête qu'elles devraient infirmer les convictions au lieu de les consolider. En revanche, que dis-tu de ceci? Le vendredi 24 mars 1989, vers dix-sept heures, tu es arrivé chez toi à l'improviste. Isabelle n'en a pas été autrement surprise mais elle t'a trouvé bizarre. Et pour cause: c'est la première fois qu'elle rencontrait Textor Texel. C'était toi et ce n'était pas toi. Toi, tu plais aux femmes; moi pas. Tu as déplu à Isabelle ce jour-là, sans qu'elle sache pourquoi. Tu ne parlais pas, tu te contentais de la regarder avec ces yeux d'obsédé pervers qui sont les miens. Tu l'as prise dans tes bras: elle s'est déga­gée de ton étreinte avec un air de dégoût. Tu as recommencé. Elle s'est éloignée pour te signifier son refus. Elle s'est assise dans le canapé et ne t'a plus regardé. Tu n'as pas supporté qu'elle ne veuille pas avoir affaire à Textor Texel. Tu es allé à la cuisine et tu as pris le plus-grand des couteaux. Tu t'es approche d'elle, elle ne s'est pas méfiée. Tu l'as poignardée à plusieurs reprises. Aucune parole ne fut échangée. Silence.

— Je ne me souviens pas, dit Jérôme avec obstination.

— La belle affaire! Moi, je me sou­viens.

— Tout à l'heure, vous m'avez raconté une version complètement différente. A quand la troisième, la quatrième?

Je t'avais raconté la version de Textor Texel, qui n'est pas contradic­toire avec celle de Jérôme Angust. Ta femme t'a détesté, ce jour-là, parce qu'elle a deviné en toi le monstre se pourléchant de rêves de viol. Ta version est silencieuse, la mienne sous-titre ce mutisme du dialogue mental que Texte -Texel a eu avec Isabelle. Dans ma ver­sion, j'évoquais Adam et Eve. Ça tombe bien: dans la Genèse aussi, il y a deux versions de leur histoire. Le narrateur vient à peine de finir le récit de la chute qu'il le raconte à nouveau, d'une autre manière. A croire qu'il y prend plaisir.

— Moi pas.

— Tant pis pour toi. Après le meurtre, tu as emporté le couteau et tu es reparti au bureau. Là, tu es redevenu calmement Jérôme Angust. Tout était à sa place. Tu étais heureux.

— C'était la dernière fois de ma vie que j'étais heureux.

— Vers vingt heures, tu es retourné chez toi, comme un type content d'être en week-end.

— J'ai ouvert la porte et j'ai décou­vert le spectacle.

— Spectacle que tu avais déjà vu: tu en étais l'auteur.

— J'ai hurlé d'horreur et de déses­poir. Les voisins sont arrivés. Ils ont appelé la police. Quand elle m'a inter­rogé, j'étais sonné, abruti. On n'a jamais retrouvé le coupable.

— Quand je te disais que tu avais commis le crime parfait!

— Le crime le plus infect qui soit, oui.

— Ne te flatte pas. Tu es drôle. Ce col-blanc à qui l'on vient d'apprendre qu'il a tué sa femme et qui se prend pour un être abject: c'est la folie des grandeurs. Tu n'es qu'un amateur, ne l'oublie pas.

— Vous, que vous soyez moi ou non, je vous hais!

— Tu as encore un doute? Prends ton portable, appelle ta secrétaire.

— Pour lui dire quoi?

— Obéis-moi.

— Je veux savoir!

— Si tu continues, c'est moi qui l'appelle.

Angust sortit son portable et com­posa un numéro.

— Catherine? C'est Jérôme. Je ne vous dérange pas?

— Dis-lui d'aller regarder sous la liasse de paperasse, dans le dernier tiroir en bas à gauche de ton bureau.

— Pourriez-vous me rendre un ser­vice? Regardez sous la pile de pape­rasse, dans le dernier tiroir en bas à gauche de mon bureau. Merci. J'attends, je reste en ligne.

— A ton avis, que va-t-elle y trouver, cette chère Catherine?

Aucune idée. Je n'ai plus ouvert ce tiroir depuis... Allô, oui, Catherine? Ah. Merci. Je l'avais perdu depuis quelque temps. Désolé de vous avoir dérangée. A bientôt.

Angust coupa la communication. Il était livide.

— Eh oui, sourit Textor. Le couteau. Il est au fond de ce tiroir depuis dix ans. Bravo, tu as été impeccable. Aucune émotion dans ta voix. Catherine n'y a vu que du feu.

— Ça ne prouve rien. C'est vous qui avez mis ce couteau à cet endroit!

— Oui, c'est moi.

— Ah! Vous avouez!

— J'ai avoué depuis longtemps.

— Vous aurez profité d'une absence de Catherine et vous vous serez glissé dans mon bureau...

— Arrête. Je suis toi. Je n'ai pas besoin de me dissimuler pour aller dans ton bureau.

Angust prit sa tête dans ses mains.

— Si vous êtes moi, pourquoi n'ai-je aucun souvenir de ce que vous racon­tez?

— Il n'est pas nécessaire que tu t'en souviennes. Je me rappelle ton crime à ta place.

— En ai-je commis d'autres?

— Ça ne te suffit pas?

— J'aimerais que vous ne me cachiez plus rien.

— Rassure-toi. Dans ta vie, tu n'as aimé qu'Isabelle. Tu n'as donc tué qu'elle. Tu l'avais découverte dans un cimetière, tu l'as restituée au lieu de votre rencontre.

— Je ne parviens pas à vous croire. J'aimais Isabelle à un point que vous n'imaginez pas.

— Je sais. Je l'aimais du même amour. Si tu ne parviens pas à me croire, n'oublie pas, mon cher Jérôme. qu'il existe un moyen ultime et infaillible de vérifier mes dires.

— Ah?

— Tu ne vois pas?

— Non.

— C'est pourtant une chose que je te demande depuis pas mal de temps.

— Vous tuer?

— Oui. Si tu es toujours en vie après m'avoir tué, tu sauras alors que tu étais innocent du meurtre de ta femme.

— Mais coupable de vous avoir assassiné.

— C'est ce qu'on appelle un risque.

— Risquer sa vie, en l'occurrence.

— C'est un pléonasme. Le risque, c'est la vie même. On ne peut risquer que sa vie. Et si on ne la risque pas, on ne vit pas.

— Mais là, si je risque, je meurs!

— Tu meurs encore plus si tu ne risques pas.

— Vous n'avez pas l'air de com­prendre. Si je vous tue et que vous n'êtes pas moi, je passe le restant de mes jours en prison!

— Si tu ne me tues pas, tu passes le restant de tes jours dans une prison mille fois plus abominable: ton cer­veau, où tu ne cesseras de te demander, jusqu'à la torture, si tu es l'assassin de ta femme.

— Au moins, je serai libre.
Textor hurla de rire.

— Libre? Libre, toi? Tu te trouves libre? Ta vie brisée, ton travail, c'est ce que tu appelles être libre? Et tu n'as encore rien vu: tu crois que tu seras libre quand tu passeras des nuits entières à débusquer le criminel en toi? De quoi seras-tu libre, alors?

— C'est un cauchemar, dit Angust en secouant la tête.

— Oui, c'est un cauchemar, mais il a une issue. Il n'en a qu'une. Heureuse­ment, elle est sûre.

— Qui que vous soyez, vous m'avez mis dans la situation la plus infernale de l'univers.

— Tu t'y es mis tout seul, mon vieux.

— Cessez de me parler avec cette insupportable familiarité!

— Monsieur Jérôme Angust est trop précieux pour qu'on le tutoie?

— Vous avez gâché ma vie. Ça ne vous suffit pas?

— C'est drôle,.ce besoin qu'ont les gens d'accuser les autres d'avoir gâché leur existence. Alors qu'ils y par­viennent si bien eux-mêmes, sans l'aide de quiconque!

— Taisez-vous.

— Tu n'aimes pas qu'on te dise la vérité, hein? Dans le fond, tu sais bien que j'ai raison. Tu sais que tu as tué ta femme. Tu le sens.

— Je ne sens rien!

— Si tu n'avais pas l'ombre d'un doute, tu ne serais pas dans cet état.

Texel rit.

— Ça vous fait rigoler?

Tu devrais te voir. Ta souffrance est pitoyable.

Angust explosa de haine. Un geyser d'énergie enragée lui monta du bas du ventre jusqu'aux ongles et aux dents. Il se leva et attrapa son ennemi par le revers de sa veste.

— Vous riez toujours?

— Je jubile!

— Vous n'avez pas peur de mourir?

— Et toi, Jérôme?

— Je n'ai plus peur de rien!

— Il était temps.

Angust lança Texel jusqu'au mur le plus proche. Il se fichait des spectateurs comme d'une guigne. Il n'y avait plus place en lui que pour sa haine.

— Vous riez toujours?

— Tu me vouvoies toujours?

— Crève!

— Enfin! s'extasia Textor.

Angust s'empara de la tête de son ennemi et la fracassa à plusieurs reprises sur le mur. Chaque fois qu'il écrasait ce crâne sur la paroi, il criait: «Libre! Libre! Libre!»

Il recommença et recommença. Il exultait.

Quand la boîte noire de Texel éclata Jérôme éprouva un soulagement profond.

Il lâcha le corps et s'en alla.

 

Le 24 mars 1999, les passagers qui attendaient le départ du vol pour Bar­celone assistèrent à un spectacle sans nom. Comme l'avion en était à sa troi­sième heure de retard inexpliqué, l'un des voyageurs quitta son siège et vint se fracasser le crâne à plusieurs reprises sur l'un des murs du hall. Il était animé d'une violence si extraordinaire que personne n'osa s'interposer. Il continua jusqu'à ce que mort s'ensuivît.

Les témoins de ce suicide inquali­fiable précisèrent un détail. Chaque fois que l'homme venait se taper la tête contre la paroi, il ponctuait son geste d'un hurlement. Et ce qu'il criait, c'était:

— Libre! Libre! Libre!

 

 



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