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Les gens qui aiment sont toujours intarissables sur l’objet de leur amour.

 

VI. Traduisez:

1. Он был худым ребенком, ужасно разборчивым в еде, и его надо было каждый раз заставлять кушать.

2. Вы оскорбляете Бога. Чего Вы хотите? Чтобы он Вас поразил молнией, наслал полчища саранчи или чтобы волны Красного моря сомкнулись над Вашей головой?

3. Les preuves de l’existence de Dieu sont faibles et byzantines, les preuves de son pouvoir sont plus maigres encore. Les preuves de l’existence de l’ennemi intérieur sont énormes et celles de son pouvoir sont écrasantes.

4. Он не слышал ничего, лишь шум в голове. Это было похоже на далекий и смутный гул, который мы ощущаем на станциях метро, когда поезд ещё не подошел.

5. Я Вам говорил, что человек – это крепость, а его органы чувств – врата, ведущие в эту цитадель. Я ничего не оставил на волю случая.

6. Quand on est destiné à devenir un coupable, il n’est pas nécessaire d’avoir quelque chose à se reprocher. La culpabilité se fraiera un passage par n’importe quel moyen. C’est de la prédestination.

7. Из-за моего комплекса вины я жил затворником, сосредоточенным на себе, страдая, анализируя себя, поедая отвратительную еду, изучая её воздействие на мою анатомию: внешний мир привлекал меня всё меньше и меньше.

8. Décrire la beauté d’un tel visage est aussi vain et stupide que tenter d’approcher, avec des mots, l’ineffable d’une sonate ou d’une cantate. Mais une cantate ou une sonate eussent peut-être pu parler de son visage.

9. Кладбище Монмартра полно надгробных памятников, похожих на миниатюрные копии готических соборов, с вратами, нефом, трансептом и апсидой. Четыре человека хрупкой конституции спокойно могут поместиться там в полный рост.

 

 

Leçon 3

 

— Pourquoi irais-je chez un psy quand il y a des aéroports pleins de gens désœuvrés tout disposés à m'écou­ter?

— Il vaut mieux entendre ça que d'être sourd.

— Je me suis mis à rechercher cette fille partout. Au début, je passais mon temps au cimetière de Montmartre, dans l'espoir qu'elle y revienne. Elle n'y revint pas.

— Comme c'est curieux, cette vic­time si peu pressée de revoir le lieu de son supplice.

— A croire que cela lui avait laissé un mauvais souvenir.

— Vous parlez sérieusement?

— Oui.

— Vous êtes assez malade pour sup­poser qu'elle aurait pu aimer ça?

— C'est flatteur, un viol. Ça prouve qu'on est capable de se mettre hors la loi pour vous.

— La loi. Vous n'avez que ce mot à la bouche. Vous croyez que cette malheu­reuse pensait à la loi, quand vous...? Vous mériteriez d'être violé pour com­prendre.

— J'aimerais beaucoup. Hélas, per­sonne ne semble en avoir eu envie.

— Ça ne m'étonne pas.

— Suis-je donc si laid?

— Pas tant que ça. Ce n'est pas le problème.

— Où est-il, alors, le problème?

— Vous avez vu comment vous abor­dez les gens? Vous en êtes incapable autrement que par la violence. La pre­mière fille que vous avez désirée, vous l'avez violée. Et quand vous avez envie de parler à quelqu'un, à moi par exemple, vous vous imposez. Moi aussi, vous me violez, certes d'une façon moins infecte, mais quand même. Vous n'avez jamais envisagé d'avoir une forme de relation humaine avec quel­qu'un de consentant?

— Non.

— Ah!

— Qu'est-ce que ça m'apporterait, le consentement d'autrui?

— Des tas de choses.

— Soyez concret, je vous prie.

— Essayez, vous verrez.

— Trop tard. J'ai quarante ans et, en amitié comme en amour, je n'ai jamais plu à personne. Je n'ai pas même ins­piré de camaraderie ou de vague sym­pathie à quiconque.

— Faites un effort. Rendez-vous attrayant.

— Pourquoi ferais-je un effort? Je suis content comme ça, moi. Ça m'a plu, ce viol; ça me plaît, de vous forcer à m'écouter. Pour accepter l'effort, il faut ne pas être satisfait de son sort.

— Et ce qu'en pensent vos victimes, ça vous indiffère?

— Ça m'est égal.

— C'est ce que je craignais: vous êtes incapable d'éprouver de l'empathie. C'est typique des gens qui n'ont pas été aimés pendant leur petite enfance.

— Vous voyez: pourquoi irais-je chez un psy alors que je vous ai sous la main?

— Ce sont des rudiments.

— Je crois en effet que mes parents ne m'ont pas aimé. Ils sont morts quand j'avais quatre ans et je ne me souviens pas d'eux. Mais ils se sont suicidés et il me semble que, quand on aime son enfant, on ne se suicide pas. On les a retrouvés, pendus, l'un à côté de l'autre, à la poutre du salon.

— Pourquoi se sont-ils tués?

- Aucune explication. Ils n'avaient laissé aucun message. Mes grands-parents n'ont jamais compris.

— Je devrais sans doute vous plaindre et, pourtant, je n'en ai aucune
envie.

-— Vous avez raison. Il n'y a pas lieu d'avoir pitié de moi.

— Les violeurs, ça ne m'inspire que du dégoût.

— Je n'ai commis qu'un seul viol: cela suffit-il à faire de moi un violeur?

— Qu'est-ce que vous croyez? Qu'il faut atteindre un certain quota de vic­times pour mériter ce mot? C'est comme pour assassin: il suffit d'un assassiné.

— C'est amusant, le langage. La seconde qui a précédé mon acte, j'étais un être humain; la seconde d'après, j'étais un violeur.

— J'ai horreur que vous jugiez ça drôle.

— Au moins ai-je été un violeur d'une fidélité exemplaire. Je n'ai jamais violé ni même touché une autre femme. Ce fut le seul rapport sexuel de mon existence.

— Ça lui fait une belle jambe, à la victime.

— C'est tout ce que vous trouvez à dire?

— Qu'un détraqué de votre espèce n'ait pas de vie sexuelle ne m'étonne pas.

— Ça ne vous paraît pas romantique, cette abstinence?

— Vous êtes le personnage le moins romantique qu'on puisse imaginer.

— Je ne suis pas de cet avis. Peu importe. J'en reviens à mon histoire. J'ai fini par cesser d'aller au cimetière de Montmartre, comprenant que c'était le dernier endroit où cette fille voulait aller. Ce fut pour moi le début d'une longue errance à travers Paris, à la recherche de celle qui m'obsédait de plus en plus. Je sillonnais la ville avec méthode, arrondissement par arrondis­sement, quartier par quartier, rue par rue, station de métro par station de métro.

— L'aiguille dans la botte de foin.

Les années ont passé. Je vivotais toujours de mon héritage. A part le loyer et la nourriture, je n'avais aucune dépense. Je n'avais besoin d'aucun divertissement; quand je ne dormais pas, je n'avais d'autre activité que mar­cher dans Paris.

— La police ne vous a pas inquiété?

— Non. La victime n'avait pas porté plainte, je pense.

— Quelle erreur de sa part!

— Et quel paradoxe: ce n'était pas le criminel qui était recherché, mais la victime.

— Pourquoi la recherchiez-vous?

— Par amour.

— Quand on voit ce que certaines personnes appellent amour, on a envie de vomir.

— Attention: si vous vous aventurez sur ce registre, vous allez avoir droit à une dissertation sur l'amour.

— Non, par pitié.

— C'est bon pour cette fois. Il y a dix ans, soit dix années après le viol, je me baladais dans le XXe arrondissement, en mangeant un hot dog de derrière les fagots — et que vois-je, boulevard de Ménilmontant? Elle! Elle, à n'en pas douter. Je l'aurais reconnue entre quatre milliards de femmes. La bruta­lité sexuelle, ça crée des liens. Dix années n'avaient réussi qu'à la rendre encore plus belle, fine, déchirante. Je me mis à la courser. Dira-t-on assez la mauvaise fortune qui consiste à être en train de bouffer une saucisse chaude pleine de moutarde le jour où, après dix années de traversée du désert, on retrouve sa bien-aimée? Je la suivais en avalant de travers.

— Il fallait jeter votre casse-croûte.

— Vous êtes fou. On voit bien que vous ne connaissez pas les hot dogs du boulevard de Ménilmontant: ça ne se jette pas. Si je m'en étais débarrassé, j'en aurais voulu à la dame de mes pen­sées et mon amour serait devenu moins pur. Inconsciemment, je lui aurais reproché la perte de ma saucisse.

— Passons sur ces considérations d'une profondeur vertigineuse.

— Je suis le seul homme assez sin­cère pour dire des choses pareilles.

— Bravo. La suite.

— Vous voyez, mon récit vous pas­sionne! Je savais bien que vous seriez mordu tôt ou tard. Devinez ce que ma bien-aimée allait faire?

— S'acheter un hot dog?

— Non! Le vendeur de saucisses est situé juste en face du Père-Lachaise, où elle se rendait. J'aurais dû m'en douter: puisque je l'avais dégoûtée du cimetière de Montmartre, il avait bien fallu qu'elle se rabatte sur une autre nécro­pole. Le viol ne lui avait pas fait perdre le noble goût des cimetières. Celui de Montparnasse étant trop moche, elle avait élu le Père-Lachaise, qui serait sublime s'il n'était encombré de tant de vivants.

— Ce qui y rend les viols nettement plus difficiles.

— Eh oui. Où va-t-on si on ne peut même plus assouvir ses pulsions dans les cimetières?

— Tout fout le camp, mon bon mon­sieur.

— Je la suivis donc parmi les tombes. Cela me rappelait des souvenirs. Elle prit une allée qui montait. J'admirais sa démarche d'animal sur le qui-vive. Quand j'eus fini le hot dog, je la rejoi­gnis. Mon cœur battait à tout rompre. Je lui dis: «Bonjour! Est-ce que vous me reconnaissez?» Elle s'excusa poli­ment en répondant par la négative.

— Comment est-il possible qu'elle ne vous ait pas reconnu? Aviez-vous tant changé en dix ans?

— Je ne sais pas. Je ne me suis jamais beaucoup regardé. Mais son attitude n'était pas si incroyable, vous savez. Quel souvenir garde-t-on d'un violeur? Pas forcément celui de son visage. Je la regardais avec tant d'amour que je devais sembler très aimable. Elle me sourit. Ce sourire! J'en eus la poi­trine défoncée. Elle me demanda où nous nous étions rencontrés. J'affectai de le prendre sur le mode de la devinette. Elle dit: «Avec mon mari, je sors sou­vent. Je suis incapable de retenir le visage des gens que je croise.»

— Elle s'était donc mariée.

— Nous avons bavardé. Elle surmon­tait sa timidité avec beaucoup de grâce. Le plus drôle était que je ne connaissais toujours pas son prénom. Je n'allais quand même pas le lui demander, alors que c'était elle qui était censée deviner mon identité. Elle finit par me dire: «Je donne ma langue au chat.»

— Et qu'avez-vous répondu à la pauvre souris?

— Texel. Textor Texel.

— J'aurais dû m'en douter.

Elle s'est excusée à nouveau: «Ce nom ne me dit rien.» J'ai ajouté que j'étais hollandais. Elle m'écoutait avec une politesse charmante.

— Elle a eu droit à la totale, elle aussi? La bouffe des matous, la mort de votre petit camarade de classe, le jansé­nisme? Rien ne lui aura été épargné, à la malheureuse.

— Non. Car il y a eu un miracle. Elle a eu l'air de se souvenir: «Oui, mon­sieur Texel. C'était à Amsterdam, dans un restaurant. J'avais accompagné mon mari à ce déjeuner d'affaires» —j'étais un peu dégoûté de penser que son époux avait des déjeuners d'affaires mais je n'allais pas laisser passer cette occasion inespérée de lui inspirer confiance.

— Je trouve incroyable qu'elle ait pu oublier son agresseur.

— Attendez. Elle m'a demandé com­ment allait ma femme, une certaine Lieve, avec laquelle elle avait sympa­thisé pendant ce fameux déjeuner qui remontait à trois ou quatre années auparavant. Pris de court, j'ai répondu qu'elle allait très bien et qu'elle vivait avec moi à Paris désormais.

— C'est un vaudeville, votre histoire.

— Alors elle nous a invités, ma femme et moi, à venir prendre le thé chez elle le lendemain après-midi. Vous vous rendez compte? Etre convié par sa victime à prendre le thé! C'était tel­lement incongru que j'ai accepté. Le bon côté de l'affaire, c'est qu'elle me donna son adresse, sinon son nom que j'étais censé connaître.

— Et vous y êtes allé?

— Oui, après une nuit blanche. J'étais indiciblement heureux de l'avoir retrouvée, je ne parvenais même pas à m'inquiéter. Par ailleurs, j'espérais qu'il y aurait son nom sur la porte de son appartement, comme c'est souvent le cas, histoire de connaître enfin son identité. Hélas, le lendemain, aucun nom près de la sonnette. Elle m'a ouvert. Son visage s'est d'abord éclairé puis assombri. «Vous n'êtes pas venu avec Lieve!» Je lui ai raconté que ma femme était souffrante. Elle m'a installé au salon et est allée préparer le thé. J'ai pensé alors qu'elle n'avait pas de boniche et que ça m'arrangeait bien, de me retrouver seul avec elle dans son appartement.

— Vous aviez l'intention de la violer à nouveau?

— Il ne faut pas rééditer ce qui a été trop parfait. On ne pourrait qu'être déçu. Cela dit, si elle me l'avait pro­posé...

— En ce cas, ce n'aurait pas été un viol.

— Logique implacable. Voyez-vous, ma très courte expérience me donne l'intuition qu'avec le consentement de l'autre, le sexe doit être un jeu un peu fade.

— Vous parlez ex cathedra.

— Mettez-vous à ma place. Je n'ai baisé qu'une fois et c'était un viol. Je ne connais du sexe que sa violence. Enle­vez au sexe sa violence: que reste-t-il?

— L'amour, le plaisir, la volupté...

— Oui: des choses mièvres, quoi. Je ne me suis jamais nourri que de tabasco et vous me proposez des gâteaux de riz.

— Oh, moi, je ne vous propose rien!

— Elle non plus, d'ailleurs, elle ne me proposait rien.

— Ça règle la question.

— En effet. C'était comique, se faire servir une tasse de thé par sa victime polie et charmante, dans son joli salon. «Encore un peu de thé, monsieur Texel? — Appelez-moi Textor.» Hélas, elle n'eut pas la bonne idée de me révé­ler son prénom en retour. «Aimez-vous Paris?» Nous discutions très civile­ment. Je me régalais de son visage.

— Incroyable, qu'elle ne vous ait pas reconnu.

— Attendez. A un moment, elle a dit quelque chose de drôle, et j'ai ri. J'ai ri à gorge déployée. Et là, je l'ai vue chan­ger de figure. Ses yeux sont devenus polaires et se sont figés sur mes mains, comme si elle les reconnaissait égale­ment. Il faut supposer que j'ai un rire caractéristique.

— Il faut aussi supposer que vous aviez ri en la violant, ce qui est un comble.

Le comble du bonheur, oui. Elle a dit d'une voix glaciale: «C'est vous.» J'ai dit: «Oui, c'est moi. Je suis soulagé que vous ne m'ayez pas oublié.» Elle m'a d'abord longtemps regardé avec haine et horreur. Après un silence inter­minable, elle a repris: «Oui, c'est bien vous.» J'ai dit: «D'un cimetière l'autre, à dix ans d'intervalle. Je n'ai jamais cessé de penser à vous. Depuis dix ans, ma vie entière est consacrée à vous chercher.» Elle a dit: «Depuis dix ans, ma vie entière est consacrée à vous effa­cer de ma mémoire.» J'ai dit: «Ça n'a pas marché.» Elle a dit: «J'avais réussi à oublier votre visage mais votre ignoble rire a ressuscité le souvenir. Je n'ai jamais parlé de vous ni de ce qui m'était arrivé à personne, afin de mieux vous enterrer. Je me suis mariée et je m'efforce de vivre de façon outrageuse­ment normale pour me préserver de la folie où vous m'avez plongée. Pourquoi faut-il que vous réapparaissiez dans mon existence juste au moment où j'étais en train de guérir?»

— Oui, c'est vrai, pourquoi

— J'ai dit: «Par amour.» Elle a eu un haut-le-cœur.

— Comme je la comprends.

— J'ai dit: «Je vous aime. Je n'ai touché ni même voulu une autre femme que vous. J'ai fait l'amour une seule fois dans ma vie et c'était avec vous.» Elle a dit que ça ne s'appelait pas faire l'amour. J'ai dit: «Je n'ai jamais cessé de vous parler dans ma tête. Vais-je enfin avoir mes réponses?» Elle a dit non. Elle m'a ordonné de partir. Bien entendu, je ne lui ai pas obéi. J'ai dit: «Rassurez-vous, il est hors de question que je vous viole à nouveau.» Elle a dit: «Il est hors de question que vous me violiez, en effet. Nous ne sommes plus dans un cimetière mais chez moi. J'ai des couteaux dont je n'hésiterai pas à me servir.» J'ai dit: «Justement, j'étais venu ici pour ça.»

— Pardon?

— Elle a réagi comme vous. J'ai dit: «Je voulais vous revoir pour deux rai­sons. D'abord pour connaître enfin votre prénom. Ensuite pour que vous vous vengiez.» Elle a dit: «Vous n'aurez ni l'un ni l'autre. Sortez.» J'ai dit que je ne sortirais pas sans avoir mon dû. Elle a dit que rien ne m'était dû. J'ai dit: «N'avez-vous donc pas de désir de ven­geance?» Elle a dit: «Je vous souhaite tout le mal de l'univers mais je ne veux pas m'en mêler. Je veux que vous dispa­raissiez de mon existence pour tou­jours.» J'ai dit: «Enfin, ça ne vous ferait pas du bien, de me tuer? C'est pour le coup que je disparaîtrais de votre existence!» Elle a dit: «Ça ne me ferait aucun bien et vu les ennuis que j'aurais ensuite avec la justice, ça vous incruste­rait encore davantage dans ma vie.»

— Pourquoi n'a-t-elle pas appelé la police?

— Je ne l'aurais pas laissée faire. De toute façon, ça ne semblait pas son sou­hait: elle avait eu dix années pour aver­tir la police et n'avait pas usé de ce recours.

— Pourquoi?

— Elle ne voulait parler de ce viol à personne dans l'espoir qu'il quitte sa mémoire.

— Elle était forcée de constater son erreur puisque le violeur l'avait retrou­vée.

— Moi, je ne voulais pas de cette jus­tice au rabais. Je voulais une justice de première main, celle qu'elle aurait ren­due elle-même en me tuant.

— Vous vouliez qu'elle vous tue?

— Oui. J'en avais besoin.

— Vous êtes un fou furieux.

— Je ne trouve pas. Pour moi, un fou, c'est un être dont les comporte­ments sont inexplicables. Je peux vous expliquer tous les miens.

— Vous êtes bien le seul.

— Cela me suffit amplement.

— Si vous aviez tant besoin de mourir pour expier, pourquoi ne vous suici-diez-vous pas?

— Quel est ce charabia romantique? D'abord, je n'avais pas besoin de mou­rir, j'avais besoin d'être tué.

— Cela revient au même.

— La prochaine fois que vous aurez envie de faire l'amour, on devrait vous dire: «Masturbez-vous. Cela revient au même.» Ensuite, où allez-vous cher­cher que je désirais expier? Cela laisse­rait supposer que je regrettais ce viol, qui fut l'unique acte digne de ce nom de mon existence.

— Si vous n'aviez aucun remords, pourquoi vouliez-vous qu'elle vous tue?

— Je voulais qu'elle ait sa part. Je voulais ce que veut tout amoureux: la réciprocité.

— En ce cas, il aurait été plus logique de vouloir qu'elle vous viole.

— Certes. Mais à l'impossible nul n'est tenu. Je ne pouvais pas espérer ça. Etre assassiné par elle, c'était une solu­tion de remplacement.

— Comme s'il y avait une équiva­lence entre le sexe et le meurtre. C'est ridicule.

— C'est pourtant ce qu'affirment des savants très éminents.

— Le pire, c'est que vous êtes préten­tieux jusque dans vos dérèglements mentaux.

— Quoi qu'il en soit, nous parlons dans le vide puisqu'elle ne voulait pas me tuer. Ce ne fut pas faute d'insister: je trouvai cent arguments pour la per­suader. Tous rejetés. J'ai fini par lui demander si ce n'étaient pas ses convic­tions religieuses qui lui interdisaient de se venger. Elle a dit qu'elle n'en avait aucune. J'ai dit: «Enfin, quand on n'a pas de religion, on est libre de faire ce qu'on veut!» Elle a dit: «Ce que je veux, ce n'est pas vous tuer. Je voudrais que vous soyez en prison à perpétuité, hors d'état de nuire, et que vos compa­gnons de cellule vous en fassent baver.» J'ai dit: «Pourquoi ne pas vous en char­ger vous-même? Pourquoi déléguer ses désirs?» Elle a dit: «Je ne suis pas d'un naturel violent.» J'ai dit: «Je suis déçu.» Elle a dit: «Je suis contente de vous décevoir.»

— Vous me donnez le tournis avec vos «j'ai dit... elle a dit... j'ai dit... elle a dit...».

— Dans la Genèse, quand Dieu vient interroger Adam après le coup du fruit interdit, c'est comme ça que le pleutre retrace le comportement de sa femme: «J'ai dit... elle a dit...» Pauvre Eve.

— Pour une fois, nous sommes d'accord.

— Nous le sommes beaucoup plus que vous ne l'imaginez. J'ai dit: «En ce cas, qu'est-ce que vous proposez?» Elle a dit: «Disparaissez à jamais.» J'ai dit: «On ne peut pas se quitter comme ça!» Elle a dit: «On le peut et on le doit.» J'ai dit: «Il n'en est pas ques­tion. Je vous aime trop pour ça. J'ai besoin qu'il se passe quelque chose.» Elle a dit: «Je me fiche de vos besoins.» J'ai dit: «Vous n'auriez pas dû dire ça. Ce n'est pas gentil.» Elle a ri.

— Il y avait de quoi.

J'ai dit: «Vous me décevez.» Elle a dit: «Vous ne manquez pas d'air. Non seulement vous me violez, mais en plus il faudrait que je sois à la hauteur de vos attentes?» J'ai dit: «Et si je vous aidais à me tuer? Vous verrez, je me montrerai très coopératif.» Elle a dit: «Je ne verrai rien. Vous allez partir, maintenant.» J'ai dit: «Au début, vous évoquiez des couteaux. Où sont-ils?» Elle n'a pas répondu. Je suis allé dans la cuisine et j'ai trouvé un grand cou­teau.

— Pourquoi n'a-t-elle pas essayé de s'enfuir?

— Je la tenais fermement d'une main. De l'autre, j'ai placé le couteau dans son poing. J'ai mis la lame contre mon ventre, j'ai dit: «Allez-y.» Elle a dit: «Pas question. Vous seriez trop content.» J'ai dit: «Ne le faites pas pour moi, faites-le pour vous.» Elle a dit: «Je vous répète que je n'en ai aucune envie.» J'ai dit: «Alors faites-le sans en avoir envie, pour me plaire.» Elle a rigolé: «Plutôt crever que vous plaire!» J'ai dit: «Attention, je pour­rais vous prendre au mot.» Elle a dit: «Je n'ai pas peur de vous, espèce de détraqué!» J'ai dit: «Il faut que ce couteau serve, en êtes-vous consciente? Il faut que du sang soit répandu. Com­prenez-vous?» Elle a dit: «Il ne faut jamais rien.» J'ai dit: «Il le faut!» et je lui ai repris l'arme. Elle a compris mais il était trop tard. Elle a essayé de se débattre. En vain. Elle n'était pas costaude. J'ai enfoncé la lame dans son ventre. Elle n'a pas crié. J'ai dit: «Je vous aime. Je voulais seulement connaître votre prénom.» Elle est tom­bée en murmurant avec un rictus: «Vous avez une singulière façon de demander aux gens comment ils s'appellent.» C'était une mourante très civilisée. J'ai dit: «Allez, dites-le!» Elle a dit: «Plutôt mourir.» Ce furent ses dernières paroles. De rage, j'ai lacéré son giron de coups de couteau. Peine perdue, elle avait gagné: elle était morte sans que je puisse la nommer.

Il y eut un silence. Jérôme Angust semblait avoir reçu un coup sur la tête. Textor Texel reprit:

— Je suis parti en emportant le cou­teau. Sans le vouloir, j'avais commis le crime parfait: personne ne m'avait vu venir, à part la victime. Je n'avais pas dû laisser d'empreintes suffisantes pour me retrouver. La preuve, c'est que je suis toujours en liberté. Le lendemain, dans le journal, j'ai enfin eu la réponse à ma question. On avait découvert, dans l'appartement que désormais je con­naissais, le cadavre d'une certaine Isa­belle. Isabelle! J'étais ravi.

Il y eut à nouveau un silence.

— Cette fille, je la connaissais mieux que personne. Je l'avais violée, ce qui n'est déjà pas mal; je l'avais assassinée, ce qui reste la meilleure méthode pour découvrir intimement quelqu'un. Mais il me manquait une pièce maîtresse du puzzle: son prénom. Cette lacune m'avait été insupportable. J'avais été, pendant dix années, dans la situation d'un lecteur obsédé par un chef-d'œuvre, par un livre clé qui aurait donné un sens à sa vie, mais dont il aurait ignoré le titre.

Silence.

— Et là, je découvrais le titre de l'œuvre adorée: son prénom. Et quel prénom! Pendant toutes ces années, j'avoue avoir eu peur à l'idée que la dame de mes pensées pût s'appeler Sandra, Monique, Raymonde ou Cindy. Ouf, suprême ouf, elle portait un pré­nom ravissant, musical, aimable et limpide comme de l'eau de source. Un prénom, c'est déjà quelque chose, di­sait l'infortuné Luc Dietrich. On a déjà tant à aimer quand on ne sait de l'aimée que son prénom. Je savais son prénom, son sexe et sa mort.

 



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